vendredi 12 juin 2009

Le marché des pauvres dans les pays développés : nouvelles stratégies marketing pour les grandes enseignes en mal de clients

Loin d’avoir fait le tour de la question dans les pays en développement, j’ai envie pourtant le temps d’un article de me tourner vers les pays développés, et de consacrer mon sujet au marché des pauvres en France. Car oui, on parle souvent de marché des pauvres dans les pays en développement, mais on oublie de mentionner que dans les pays riches aussi des gens vivent « en bas de la pyramide » et constituent un marché à part entière. Peut-on cependant vraiment parler de BoP pour qualifier les pauvres de France ? Si l’on soutient une vision relative de la pauvreté, ce qui est mon cas, on peut en effet parler de BoP.

Prenons donc le cas de la pauvreté en France, dont cet extrait d’un article de la Croix résume bien la situation:

[Le seuil de pauvreté] est le seuil de revenus en dessous duquel un individu est considéré comme pauvre. Ce seuil est fixé, selon les organismes statistiques, à 50 % du revenu mensuel médian (soit 681 € en 2005) ou 60 % de ce même revenu (soit 817 €).

Si l’on prend l’hypothèse « haute », soit le seuil de pauvreté à 817 € mensuels, il y avait en France 7,136 millions de personnes pauvres en 2005 contre 6,867 millions en 2004. En 1970, 8,649 millions de Français étaient considérés comme pauvres.

Article Le Seuil de Pauvreté en France, 2 Février 2008

Le hard discount, pionnier d’une stratégie BoP

Avec un peu moins de 10% de Français en dessous du seuil de pauvreté, le marché des pauvres en France est donc conséquent, puisqu’il représente plusieurs millions de clients potentiels. Terrain des associations françaises de lutte contre la pauvreté et d’aide alimentaire (les Resto du Cœur, les banques alimentaires…), le marché des pauvres a été pendant longtemps réservé à ces quelques associations oeuvrant pour nourrir les personnes à faib

les revenus. Mais ce marché des pauvres est bien plus large que ces 10%, puisqu’on pourrait y inclure toutes les personnes vivant avec environ 1000 euros par mois, somme qui, dans certaines régions/villes, n’est pas suffisante pour avoir des conditions de vie décente. Le marché des pauvres serait donc plus un marché des personnes à faible revenu.

Les hard-discounteurs les premiers ont su saisir les opportunités créées par la pauvreté, ou en tout cas la faiblesse des revenus, avec une émergence en France du mouvement venu d’Allemagne dans les années 90.

En ciblant essentiellement les personnes à faibles revenus, les hard discount ont su revoir et remodeler tous les process de la grande distribution classique pour en réduire les coûts : peu ou pas de marketing, emballages et mise en rayon minimalistes, et bien sur, prix très bas comparés à leurs concurrents.

La contre-attaque des grandes enseignes

Les entreprises de la grande distribution ont alors décidé de contre-attaquer. Lassée de voir leur clientèle s’effriter au profit des hard-discounteurs, les Carrefour, System U et autres Intermarché ont décidé de jouer sur le même terrain que leurs concurrents féroces Lidl, Aldi, Ed, soit en acquérant ces chaînes de hard discount, soit en développant des gammes de produits similaires à bas prix (ou en faisant les deux).

Mais pourquoi donc un tel intérêt pour le hard discount ?

  • d’une part, l’analyse du marché par les grands groupes à révéler que les clients du hard-discount ne sont plus seulement composés de ménages à faible revenu, mais aussi de plus en plus de ménages « aisés » issus de la classe moyenne. Cet enrichissement de l’éventail de clients de l’hard-discount au détriment des grandes enseignes a motivé le changement de cap des grandes enseignes.

  • d’autre part, le contexte de la « crise » a changé la

    donne : les habitudes de consommation des ménages français changent, au profit d’une consommation utile et économe axée sur les prix. Les Français sont de moins en moins réticents à acheter des produits à bas prix, tout au moins pour certains produits alimentaires de première nécessité : farine, œuf, laitage…Faire des économies sur l’alimentation de base est le nouveau mot d’ordre.


La lutte pour les prix bas

La réponse des distributeurs s’est dans un premier temps matérialisée par des campagnes de pub vantant les bas prix pratiqués par les enseignes.

On assiste également à un retour de la publicité comparative, pourtant risquée puisqu’elle est souvent à la limite de la publicité mensongère. C’est Leclerc par exemple qui recoure à cette pratique depuis quelques mois maintenant : flans, jus d’orange, pâtes… Leclerc affirme ainsi que ses prix sont moins chers que ses concurrents, et a déjà été condamné par l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité à retirer une publicité « trompeuse » dans la presse écrite. Mais l’enseigne poursuit pourtant dans cette voie.


La création des marques distributeurs à bas prix

Puis l’accent a été mis sur les « marques distributeurs », ces gammes de produits à bas coût qui existent depuis longtemps, mais n’ont jamais fait l’objet de publicité comme c’est le cas maintenant.

Le passage à l’étape suivante a été initié par Carrefour et sa gamme « Carrefour Discount », qui fait l’objet d’un battage médiatique fort : publicité TV, affichage, insertion presse… L’idée d’une marque distributeur à bas prix n’est pas nouvelle, puisque toutes les grandes chaînes de distribution ont leur propre gamme de produits à faible prix, mais c’est la forte médiatisation qui l’entoure qui confère à l’évènement un caractère novateur.

« Carrefour Discount est une nouvelle gamme de produits de qualité à très bas prix. Il s’agit d’une gamme de 400 produits essentiels, principalement alimentaires, avec une qualité garantie par Carrefour et au prix du hard discount. ». C’est en ces termes que la gamme est présentée sur le site du distributeur. La stratégie est simple : « zéro artifice ». Marges réduites et packaging minimaliste sont les clés de cette gamme. Avec elle, Carrefour espère reconquérir les clients à faibles revenus qui de plus en plus font leurs courses uniquement dans des hard discounts.

Les hard discounts, puis de plus en plus les grandes enseignes, ont ainsi su s’adapter aux besoins de ceux qui sont « en bas de la pyramide » en France et ailleurs dans les pays développés.

Les changements dans les process et dans la manière de concevoir les produits ne sont certes pas révolutionnaires ou très innovants, mais ils témoignent d’une meilleure prise en compte des attentes des pauvres et de leur capacité de consommation.

De là à qualifier ces stratégies de social business, il n’y a pas qu’un pas, mais tout au moins peut-on dire que cette stratégie BoP semble de plus en plus fructueuse au point d’être répliquée par de nombreux concurrents et dans d’autres domaines.

Par exemple, France Télécom a annoncé, le 12 mai 2009, son intention de créer un forfait de téléphonie mobile à 10 euros. Réservé aux bénéficiaires des minima sociaux, ce forfait reflète la volonté du groupe de mieux adapter ses services à une cible de clients pauvres, clients pauvres dont le nombre va sans doute croître dans le contexte actuel de paupérisation des ménages français.

Les stratégies BoP existent donc bel et bien, et même si la base de la pyramide française est bien moins pauvre que la base de la pyramide indienne ou zimbabwéenne par exemple, son existence ne peut être niée, et nécessite une adaptation des produits et services proposés en conséquence.

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