vendredi 12 juin 2009

Top-down vs bottom-up: un débat qui n'a pas lieu d'être

Dans son ouvrage The Fortune at the Bottom of the Pyramid (chapitre 3) Prahalad mentionne les deux approches déployées par les entreprises pour développer leur activité dans les marchés des pays émergents. Voici deux schémas qui résument ces deux façons de faire :

Dans ce schéma, on voit que l’entreprise se base sur son business model existant et fonctionnant dans les marchés développés, pour le peaufiner et l’adapter aux conditions locales du marché.
Dans ce deuxième schéma, les entreprises s’attachent d’abord à saisir la nature du marché qu’elles souhaitent pénétrer : besoins et habitudes de consommation, structure sociale et économique de la communauté, tissu associatif…Une fois tous ces points déterminés, l’entreprise créée son business model de toute pièce, ainsi que le process de management, et lance son produit/service sur le marché.

Pour Prahalad, la première approche est la recette parfaite de l’échec (dans le texte : « there is growing evidence that this approach is the recipe for failure » p. 48). Les entreprises qui souhaitent s’implanter dans les marchés émergents doivent avant tout connaître ces marchés sur le bout des doigts, puis concevoir leur business model en fonction des caractéristiques locales. On retrouve ici la prédominance d’une approche bottom-up par rapport à une approche top-down, qui voudrait que les entreprises s'établissent dans de nouveaux marchés avec des business model préconçus, élaborés à la base pour d'autres marchés et ne reflétant donc pas les besoins locaux.

Toutefois, cette scission entre ces deux approches n’est pas forcément pertinente et la réalité est souvent bien plus complexe, notamment dans les grandes multinationales. Ainsi, il est quasiment impératif qu'une firme, avant de s’implanter sur un marché, détermine une partie de son business model : type de produit, prix minimum de vente, rentabilité attendue…Cela est nécessaire pour obtenir le feu vert de la hiérarchie. Sans information concrète quant au processus qui mènera à la commercialisation réussie du produit/service, un projet n’obtiendra pas le budget nécessaire pour démarrer. Un manager dans une grande firme ne peut pas (ou alors rarement) aller voir son supérieur en lui expliquant qu’il va aller enquêter sur le terrain afin de connaître précisément les besoins des consommateurs, puis revenir et décider quel type de produit sera approprié afin de le concevoir. Il part avec une idée préconçue de ce que les gens désirent et va confirmer ou infirmer par l'expérience du terrain. C’est alors typiquement une approche centrée sur l’offre. Or, ce qui caractérise la deuxième approche c’est qu’elle part d’un besoin existant, d’une demande concrète.

Prahalad a plutôt raison quand il explique que le second modèle est le meilleur. Les produits/services élaborés par les grandes firmes devraient toujours provenir d’une demande existante. C’est l’offre qui doit s’adapter à la demande, et non l’inverse.
La préférence de Prahalad pour la seconde approche reflète la place que doivent avoir les grandes FMNs dans le marché des pauvres, mais aussi et surtout l’importance des entreprises de petite et moyenne dimension : managérialement parlant, ces dernières sont plus flexibles que les grandes firmes internationales. Dans une PME-PMI, l’innovation va se faire plus rapidement, et la compréhension des besoins des communautés locales plus facilement. On sera plus naturellement dans une approche basée sur la demande.

Cependant, les FMNs aussi ont un poids et un rôle à jouer dans ce type de marché : facilité d’économies d’échelle, moyens financiers plus importants, possibilité d’extension plus rapide sur un marché sont des atouts non négligeables.

C’est pourquoi les deux modèles d’entreprises doivent être l’un et l’autre valorisés dans la théorie des BOP, car chacun dans ses spécificités va compléter et influencer l’autre, et offrir un meilleur choix aux clients pauvres. L'ouvrage de Prahalad tend à se concentrer beaucoup trop sur les FMNs, alors que dans les pays émergents, ce sont les PME-PMI qui apporteront le travail via l'entrepreunariat local.

2 commentaires:

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  2. "C’est l’offre qui doit s’adapter à la demande, et non l’inverse."

    Oui pour les adaptations à la marge, MAIS :

    D'une part, il est très rare que la demande existe en elle-même, hormis pour les besoins que l'ont peu qualifiés d'"essentiels" (notion à débat bien sur mais on comprendra le basique nourriture-habit-logement).
    Si la demande s'exprimait naturellement pour les autres produits, il est peu probable qu'aucune entreprise ne songerait à y répondre dans un contexte socio-juridico-économique à peu près stable.
    Ainsi, c'est souvent l'offre qui créé la demande, le besoin qui créé le produit. L'exemple dans les pays riches pourraient être celui des téléphones portables : était-ce un besoin indispensable ou les entreprises de télécommunications nous l'ont-elles fait croire ? Plus proche du sujet, et en relation avec un autre de vos posts, il aurait été intéressant de connaître la place du yaourt dans la société indienne avant l'arrivée de Grameen Danone Food. Je n'ai pas trouvé cette information dans la présentation de l'entreprise liée à votre post, ou dans le tableau que vous avez réalisé. Ici, cela permettrait de voir si la yaourt est proche des Bangladais ou pas, et par conséquent si le produit en lui-même (disons la forme, le yaourt, pas les nutriments contenus qui sont un besoin élémentaire donc naturel) répond à une demande, une consommation de yaourts insuffisante, ou si c'est un moyen de diffuser ce besoin. Je ne serai pas surpris que Danone ait à l'esprit de familiariser les populations avec les (ses) yaourts pour espérer par la suite avoir une place de choix dans la marché futur "normal" quand la population se sera enrichie, tout en limitant le marketing futur. D'une pierre deux coups.

    Enfin deux petites remarques, c'est "entrepreneuriat", et sur votre tableau d'étude de cas Danone, 6 centimes d'euros font environ 5 takas et pas 150.

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